Memovelo

Memovelo

Le Premier Pas "Dunlop"

 

 

 

"Je vous parle d'un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître" (cf. Aznavour).

Pour le faire, je m'autorise du fait que le seul résultat concret que j'ai obtenu lors de mon premier essai pour être coureur cycliste remonte à une épreuve aujourd'hui disparue mais bien connue à cette époque : le "Premier Pas Dunlop".

Mon propos s'appuie, essentiellement, sur trois sources :

- "L'école des vedettes" de Pierre Weecxteen, in "le Cycle" n°67, avril 1981.

- "Premier Pas dans la carrière" d'Antoine Riche, dans les dossiers de "Mémoire du cyclisme" et, aussi, les apports fructueux sur le forum "Espace Jean-Marc Maurin".

- le relevé des résultats - chaque fois que possible - dans le journal "l'Athlète" (particulièrement le n°1721 du 09/05/1956).

 

Fidèle à ses intentions (cf. présentation du blog) "Memovelo" revisite le passé pour - essentiellement - interroger le présent. Au moment où le cyclisme français s'enorgueillit de deux trés beaux succès dans les courses "juniors" et "espoirs" des derniers championnats du monde de cyclisme sur route (succès dans les années précédentes aussi), tout nous pousse à poser la question suivante : "Mais que se passe-t-il donc ensuite ?"

Les dirigeants qui "pensent" le cyclisme de demain ont voulu la "mondialisation" de notre sport au point de recopier l'actualité politico-économique. En effet, il s'est agi de sortir d'un petit cercle  européen (la "vieille Europe") qui comprenait essentiellement (par ordre alphabétique) : la Belgique, la France et l'Italie, trio élargi ensuite à la Suisse, aux Pays-Bas et à l'Espagne. On conviendra que l'Allemagne, l'Angleterre, le Portugal ou l'Autriche ne "pesaient" pas encore trés lourd dans les années 50-60.

Quant aux pays dits de l'Est, longtemps cantonnés à la catégorie dite "amateurs" et à la grande "Course de la Paix" (Prague-Berlin-Varsovie), ils n'apparaissaient pas dans le monde professionnel, lequel demeure encore aujourd'hui le critère n°1 (?) de la réussite. Tant pis pour "Soukho" et les autres... chacun son heure, pourrait-on plagier...

Un peu plus tard, il y eut les Américains (tiens, tiens...) puis les Japonais, sans oublier les Scandinaves. Bien sûr, il y a moins d'Africains dans le vélo que dans le football, mais... Et, maintenant, la saison commence en Australie et elle se finit (juste avant la Lombardie) en Chine ! Velo-magazine le proclame : "Le velo, à la conquête du monde" (n°490, octobre 2011).

 

Il y a donc l’  « Espace » (géographique), mais il y a aussi le « Temps ». Et, à la question : «  combien de temps pour faire un homme (un coureur cycliste) ? » il y a eu plusieurs réponses apportées. En France, une parmi les premières réponses fut le « 1er Pas Dunlop » (il y a eu aussi le 1er Pas sur Piste). Toujours en terme de temps, il est remarquable que les prémisses de cette épreuve remontent autour de la 1ère guerre mondiale avec le Velo Club Levallois pour organisateur. La question : « le coureur cycliste peut-il être un enfant ? » ne se pose pas, alors. En effet, les débuts du sport cycliste ont concerné essentiellement des hommes adultes. D’ailleurs, même avec les catégories, la taille du vélo restera longtemps un problème mécanique et …économique.

Enfin, une autre brûlante question (qui, avec le temps, semble s’être estompée) est : «  à quel âge commencer ? » Il ne s’agit plus de savoir à quel âge apprendre à monter à vélo (ce qui, paraît-il, ne s’oublie pas), mais « à quel âge (apprendre à) courir ? »

            Dans les années 50-60, la majorité silencieuse semblait s’accorder sur la limite de 16 ans. « Pas avant seize ans », disait-on, certains même demandaient : «  pas avant 18 ans »…

Le souci évident était bien de préserver ce que l’on appelle toujours la croissance et ses besoins devant la quantité d’efforts qu’exige la pratique du cyclisme de compétition. D’autant plus que les courses pouvaient mettre aux prises des garçons de 16 ans avec des coureurs de plus de 21 ans (et parfois beaucoup plus), des « 1ère catégorie » revenus du service militaire (lequel durait parfois plus de deux ans). C’étaient les fameuses « 3 et 4 ».

            Certes, dès 1958, la Région possédait en la personne de Jacques Suire un champion de France des cadets. Il y avait donc déjà des courses de cadets qui recrutaient de futurs talents (par exemple la génération des Cuch, Dècle, Suire…). En ce qui me concerne, je ne fus pas autorisé à courir en cadets.

Ste Foy la Grande (1959) avan t les "pros", le podium des cadets : C. Cuch, J.Suire, la Demoiselle, J. Pommé (la main devant la bouche).

C’est en 1923 que le 1er Pas fut confié par le VCL à la société Dunlop, qui en fit une épreuve nationale avec une finale se disputant sur le circuit de la Minière. Le problème de la limite d’âge n’était pas résolu, sauf par une obligation un peu floue : il suffisait d’être « un authentique débutant ».

Ce n’est qu’en 1928 que la limite d’âge est portée à 18 ans. La grande finale a lieu désormais à Montlhéry de 1929 à 1938. Le « Miroir des Sports » a déjà remarqué « cette vaste compétition populaire », dont «  les échos se répercutent aux quatre coins de la France » et le même journal, en 1930, qualifie la course de « Championnat de France des débutants » (titre qui ne sera officialisé par la FFC qu’en 1952).

C’est, en effet, un succès populaire puisqu’en 1926 on dépasse les 10 000 participants dans toute la France. Il faut aussi considérer qu’après la première guerre mondiale le matériel et les équipements de vélo étaient relativement rares et d’un prix élevé, ce qui ne facilitait pas l’accès des jeunes à ce sport.

 

            IL y eut beaucoup d’appelés et peu d'élus. Mais, parmi ces derniers – déjà avant 1939 – plusieurs noms signent leur entrée dans la carrière : Maréchal, Cloarec, Chocque, Le Grévès, Ignat, Gérardin, Ducazeaux, Leulliot, Marcaillou, Oubron, Wambst, Cogan, Maye, Vietto…

A partir de 1946, l’étude des podiums n’apporte pas une réponse définitive à ceux qui souhaitent s’interroger sur la validité de cette épreuve de prospection. Cependant, durant  toute son existence (en 1973, le 1er Pas Dunlop est remplacé par le championnat de France juniors), le 1er Pas Dunlop affiche des résultats intéressants à plusieurs points de vue :

            - il détecte dès la 17ème année de futurs champions

            - il détecte souvent mais dans un ordre que l’avenir inversera

            - il confronte parfois le jeune coureur à un choix cornélien (la route ou la piste ?)

            - Que sont devenus les vainqueurs « inconnus » du 1er Pas Dunlop ?

 

 

- Le 1er Pas Dunlop détecte de futurs champions :

 

            Raphaël Geminiani(43), P. Trentin (61), Mariano Martinez (65), J-L Molineris (67),

B. Bourreau (68), J-M Vasseur (71)… et, pour ceux qui feraient la fine bouche devant ce rapide énoncé, revenons sur le dernier 1er Pas Dunlop officiel, en 1972 et, donc, son dernier vainqueur : « à mi-course, dans la côte de Pas en Artois à 58km de l’arrivée, un jeune Breton aux cheveux longs et avec des chaussettes de tennis, s’échappe. Il termine seul avec 30’’ d’avance sur les autres. Il s’appelle Bernard Hinault. » Déjà, le journal « l’Equipe » peut donner à lire : « son succès remporté hier matin à Arras devant les meilleurs espoirs de tous les comités de France l’autorise à envisager la suite de sa carrière avec optimisme. Il a en effet une certaine classe et une belle confiance en soi pour s’échapper seul comme il le fit à mi-course. », et le journal « Le Monde » - dont la spécialité certes n’est pas le cyclisme, mais qui s’intéresse à tout – choisit ce titre : « Bernard Hinault ou la foi du débutant »…

 

- L’ordre établi par le 1er Pas Dunlop peut être, ensuite, inversé :

 

            En 1943, Raphaël Geminiani, chez lui à Montluçon ou presque, laisse derrière lui Louison Bobet, 6ème à 41’’. En 1965, Mariano Martinez crève au 24ème km, revient et bat au sprint un certain Bernard Thévenet 4ème… l’affaire n’est pas simple, car, lors de l’éliminatoire de Bourgogne le résultat était inversé.

Là encore, les « bons conseilleurs » me diront : « c’est une course, un jour… » Certes, mais pour tous ces jeunes, c’est aussi la 3ème confrontation . Nous souhaitons insister pour dire notre intérêt pour les deux premières éliminatoires : départementale et régionale.

Par exemple, en Gironde et en Aquitaine, parmi les résultats retrouvés, que penser de :

Gonzalès 9ème en Gironde et 4ème à Bordeaux (région.1951) ou, encore, au-delà de la rivalité libournaise d’alors, De Santi (SCAL) 1er en Gironde et Sever-Souchet (AVCL) 1er en Guyenne, en 1956… et dans un autre registre : M. Landa 1er en Gironde, 1er à Pau et 76ème à Nancy en 1959…

Bien sûr, nous ignorons peut-être trop facilement les accidents (chute…) ou les incidents (crevaison, mécanique…), mais pour ceux qui veulent y réfléchir, au-delà du nominatif et du passionnel ?

 

            - le 1er Pas Dunlop, épreuve de prospection et de détection, confronte parfois les jeunes à un choix de carrière :

à 30 ans de distance, on retrouve dans le classement de la finale en 1930 : Gérardin 3ème et, en 1961, le vainqueur s’appelle P. Trentin, le 3ème est D. Morelon… Gageons qu’un chercheur pourrait aussi trouver Maurice Verdeun vainqueur de l’éliminatoire régionale  et relever que le 10ème s’appelle Dolhats.

Aussitôt, j’entends les « conseilleurs » m’expliquer que « tu comprends... le parcours… », les mêmes, ailleurs, m’ayant expliqué : « tu sais, la base, c’est la vélocité… »

Voilà, cependant, quatre cas précis de futurs « pistards » et de sacrés « sprinters ». Quelle orientation choisir ? et pour quelles raisons ?

 

            - Restent les vainqueurs « méconnus » voire oubliés du 1er Pas Dunlop :

Et, ils sont certes nombreux. Au plan national, par exemple, nous ne savons pas ce qu’est devenu JP Livet vainqueur en 1964 devant C. Guimard et C. Guyot. Au plan régional, nous connaissons mieux Flavio Capitanio, vainqueur de l’éliminatoire en 1953. Fils d’immigrés italiens, grâce à son instituteur, il a la chance de fréquenter le Lycée de Ste Foy la Grande. Au moment du bac. sciences expérimentales, son professeur d’EP, M. Monlezun, entreprend de le convaincre : « Ecoute, Capitanio, le vélo c’est bien joli, mais tu devrais passer le concours pour rentrer au CREPS… » Flavio est pourtant monté en 1ère catégorie et il a eu l’honneur de fréquenter les « pros d’après Tour de France » lors de la nocturne de Bergerac.

 

 Flavio Capitanio (à gauche) et Daniel Walryck (à droite) : deux destinées...

 

La raison l’emporte, Capitanio rentre au CREPS de Bordeaux et y découvre le rugby, dont il devient un spécialiste. Il termine sa carrière d’enseignant au LEP de Langon où lui a succédé aujourd’hui Christian Delage, international de rugby à 15 et pratiquant assidu de cyclisme. Et, Flavio Capitanio de m’interpeller : « qu’est-ce que tu crois qu’on serait devenu ? on se serait dopé comme les autres… » Gérard Descoubes m’a appris que le vainqueur de l’éliminatoire régionale en 1951, Orlando (de Fumel-Libos), dont j’avais perdu trop rapidement la trace, avait son nom inscrit sur tous les silos à grain  de la région…

Une réussite professionnelle est une raison légitime pour disparaître du monde du vélo. Mais, ce n’est peut-être pas le cas de tous les vainqueurs moins connus ou oubliés.

 

            La région ; aujourd’hui l’Aquitaine, autrefois la Guyenne, a connu quelques vainqueurs de la Finale : 1952 : Jacques Olivier, 1956 : Claude Cousseau, 1957 : Chritian Buiatti.

Par l’intermédiaire de l’ami Gino Grecchi, nous avons pu rencontrer C. Buiatti chez lui au Taillan (33). A 70 ans, il a repris le travail en tant qu’auto-entrepreneur. Spécialiste dans les enduits, il avait monté avec son beau-frère une entreprise qui mobilisait 49 personnes et qui avait cessé ses activités en 2002. Mais, la retraite lui pesant, il a donc repris le travail.

Christian Buiatti est né le 30 mars 1940 à Meilhan/Garonne. Sa mère décède alors qu’il a 10 ans en 1950, à la suite de quoi son père retourne en Italie. Il s’élève seul. L’hiver, il est soudeur de chaise et il taille les arbres fruitiers. L’été, il ne fait que du vélo. A Marmande où il a une chambre, il est chaperonné au VS Marmande par le père Roussille et Mario Ragagnin. A 15 ans, il achète un vélo, un « Terrot ». Cadet, déjà, il participe à quelques courses, mais les déplacements sont limités, car il n’a pas de voiture, juste une mobylette.

En 1957, après avoir gagné l’éliminatoire du 1er Pas Dunlop à Marmande, puis fini 2ème de la Régionale, il monte accompagné par son dirigeant à Reims, où il l’emporte, nettement détaché devant le Lyonnais Alain Vera (futur « pro » chez Peugeot). A 18 ans, il est en première catégorie. Il court avec les Sabbadini, Bianco, Lesca et autres Pineau. Il gagne 2 G.P. du Bédat à Marmande, à Belvès de Castillon et à Sauternes.

Entre 1960 et 1963, il est appelé en Algérie où, à quelques jours d’être libéré, il tombe avec ses camarades dans une embuscade. Une balle lui traverse le cou, il connaît deux jours de coma, puis 8 mois d’hôpital. En 1963, il court le Tour de l’Aude et, aussi, le Tour des Asturies où il figure honorablement. Mais, en 1964, il se marie et arrête la compétition. Du mariage, naîtront deux filles…

 

            Cela fait donc 40 ans ou presque que le 1er Pas Dunlop n’existe plus. Entre temps, la FFC a mis en place les cadets, les juniors, puis les minimes et les écoles de cyclisme. Dans la compétition généralisée qui met aux prises les différentes disciplines sportives pour la conquête de la jeunesse, le cyclisme a su s’y prendre plus tôt.

Pour avoir étudié – à la demande de son père – le parcours de Ludovic Grechi (aujourd’hui dans l’encadrement des jeunes au comité d’Aquitaine), nous avons relevé l’entrée à 9ans à l’école de cyclisme de l’US Villenave (1978) et 4 années d’attente avant de pouvoir courir en minimes (1982).

Pierre Weecxteen prend l’exemple de Hubert Linard, vainqueur du criterium national des minimes en 1967, champion de France des cadets en 1968, 13ème du 1er Pas Dunlop en 1970 et encore professionnel en 1981 (il arrête le 12/09/1986). Soit presque 20 ans sur un vélo et dans la compétition !  Les cas de durabilité ne sont pas légions. Non seulement se posent les problèmes de motivation et de l’usure, mais aussi les problèmes de santé qui pourtant sont fréquents. Jens Voigt vient de resigner pour 2012 et sera le plus ancien professionnel  en activité au sein du peloton World Tour (soit sa 16ème licence chez les « pros » dans une carrière démarée en 1997). En 2011, Andrea Noé et Inigo Cuesta, 42 ans tous les deux, étaient les plus vieux. Certes, Raymond Poulidor a couru jusqu’à 41 ans, mais il n’avait pas débuté en minimes ni en cadets.

 

            Le problème du «vrai débutant » est donc d’une autre époque, mais il continue à nous intéresser par ce qu’il révèle du monde cycliste. En 1960, le règlement dit : « L’épreuve est obligatoire pour les jeunes cyclistes licenciés 1ère année, ceux qui, âgés de 17 ans dans l’année, avaient pour la première fois signé une licence amateur à la FFC."

En fait, même certains vainqueurs moins connus, comme Capitanio, avaient déjà couru des courses de village, déjà appelées de « non-licenciés ». Il y avait, à Bordeaux,  une initiative remarquable : « le Grand Prix des Nourrissons », entreprise patronnée par les cycles « Reboul » qui offrait une bicyclette au vainqueur (ce fut le cas de Capitanio en 1952). Mais, il y avait déjà des catégories : par exemple, celle des « minimes non-licenciés ».

 

 

            Seul le fait de ne jamais avoir pris part à une course peut définir le « vrai débutant ».

Outre le problème des catégories, celui de l’âge et de leur mélange, il convient – à notre humble avis – de considérer que la pratique du peloton lancé sur un parcours avec toutes sortes de difficultés ne relève  pas de qualités innées, mais de comportements appris. Toutes les statistiques le montrent, les enfants d’enseignants sont favorisés dans le système scolaire, il en est de même dans le monde cycliste où il vaut mieux avoir été  plongé très tôt dans le « bain culturel » (au cours de nos recherches aux Archives municipales de Bordeaux, nous avons ainsi retrouvé dans la peloton du « Tour du Sud-Ouest » en 1930 parmi les « non-groupés », le dossard n°109 : Antonio Fedrigo).

            Pour ceux qui souhaitent établir des hiérarchies (ce qui n’est pas notre cas !), il vaut mieux se placer après la ligne d’arrivée, car « seul, le meilleur gagne » et qu’  « il n’y a que la victoire qui compte ». Cependant, entre le départ et l’arrivée (d’une course et encore plus d’une vie) il s’en passe des choses ! Des ratés ou des succès, tous aussi imprévisibles…

Les trajectoires  qui s’annonçaient prometteuses sont parfois interrompues peu de temps après  l’entrée dans la carrière. Et, après le temps des confirmations voire l’accession à la 1ère catégorie, venait le temps du service militaire. Parfois, il a suffi d’une incorporation (en Allemagne, loin de chez soi) ou bien une guerre d’Algérie qui dure ( à l’éloignement et aux dangers de toutes sortes s’ajoutait une durée inhabituelle). L’âge de la majorité (alors 21 ans) qui sonnait parfois la fin de la récréation (ce qui correspondait souvent au retour du service militaire), donc l’âge adulte avec ses marqueurs : mariage, métier, responsabilité. Enfin, il y avait aussi, malheureusement, la chute, la maladie, le handicap insurmontable.

            Ces considérations ne doivent pas nous faire oublier que le 1er Pas Dunlop est un moment oublié de l’identité française : un moment, un rite, un passage, un essai et aussi un label, au même titre que le Brevet Sportif Populaire ou le Bataillon de Joinville. Cette organisation est caractéristique d’une époque de grande popularité de la course cycliste. Mais, elle est aussi la preuve de l’intérêt des dirigeants pour la recherche de nouveaux talents et, aussi, de l’intérêt des marques (Dunlop) pour le patronage d’une telle entreprise.

            Depuis l’école rendue obligatoire pour tous, en principe, de six à treize ans par Jules Ferry, le certificat d’études primaires vient traditionnellement récompenser ceux qui ont réussi leur parcours scolaire. Au succès au « certif’ » correspond souvent l’achat par la famille d’un vélo. Il s’agit souvent d’un demi-course, lequel ne tarde pas à perdre ses garde-boue. Plus rarement, en raison du prix, il s’agit d’un vélo de course, parfois d’occasion…

« Le certificat d’études contribua largement à modifier la panoplie cycliste. Il était d’usage, à cette époque, de récompenser les enfants reçus au certificat en leur offrant une bicyclette (…)

Louison donc reçut à douze ans son premier vélo de course. Un vrai, avec un dérailleur qui marchait. C’est sur ce vélo qu’il disputa, à l’encontre des règlements, sa première course (…)

Cette année-là, c’était en 1938, se disputait ici à St Méen l’éliminatoire du 1er Pas Dunlop, épreuve ouverte aux jeunes coureurs, âgés de seize à dix-huit ans d’une part, licenciés à la Fédération, d’autre part. Louison n’avait que treize ans, il n’avait pas du tout de licence. Il prit le départ sans dossard. Il arriva dix-septième, juste devant son grand rival local, le fils d’un boucher qui, lui, prenait part officiellement à l’épreuve . »

                                                               Jean Bobet, in « Louison Bobet, une vélobiographie »

                                                                                    Ed. Gallimard, col. L’air du temps, 1958.

 

Ultime preuve de l’importance sociale du « 1er Pas Dunlop » pour l’époque que nous avons choisie, voici ce que Jean-Loup Dabadie déclara lors de son discours de réception à l’Académie Française à la place laissée vacante par la mort de Pierre Moinot, le jeudi 12 mars 2009 :

 « Ainsi était-il, et depuis toujours comment dire ? Imprévisible. Sur quel avenir croit-on qu’il avait d’abord fantasmé, notre prodige des études, la graine de normalien, le fou de littérature ?

S’imaginait-il président du Conseil, grand écrivain, académicien, prix Nobel ? Nenni. Fasciné par Roland Toutain, le fameux cascadeur qui se promenait nonchalamment dans le ciel sur les ailes d’un monoplan, il arrête sa décision : il sera aviateur. Là-dessus, l’avion d’un autre voltigeur s’écrase en feu sous ses yeux horrifiés et il change de vocation. Ses parents respirent.

Pas pour longtemps. Il veut devenir coureur cycliste. Ce sont ses propres mots ! « Alors j’ai voulu devenir coureur cycliste. » On avait pris le risque insensé de lui offrir une bicyclette superbe, avec guidon de course, dérailleur, bidon à l’avant, boyau de rechange plié sous la selle. Il s’entraîne sans s’économiser sur les routes périgourdines, et le voilà fin prêt pour le Premier Pas Dunlop. Le Premier Pas Dunlop, les connaisseurs (je sais qu’il s’en trouve dans cette noble assemblée et notamment parmi vous, Mesdames et Messieurs de l’Académie), les connaisseurs s’en souviennent, c’était la grande épreuve réservée aux jeunes amateurs, aux espoirs. Hélas pour lui, son père et sa mère, enseignants peu motivés par la petite reine, s’opposent à ce qu’il s’inscrive. Il n’y aura pas de dossard pour Pierre Moinot, la course se dispute sans lui. Qu’à cela ne tienne ! Le dimanche suivant, il effectue le parcours tout seul en se chronométrant, et constate à l’arrivée que son « temps » l’aurait situé parmi les dix premiers ! Performance exceptionnelle qui aurait dû très logiquement amener notre junior à passer professionnel selon son aspiration, enrôlé par ce qu’on appelle aujourd’hui les sergents recruteurs. Et à courir le Tour de France !

Quelle aventure, quelle histoire ! Dans les années 1948-1950, quand il aurait eu 28-30 ans, la fleur de l’âge pour le champion cycliste, il eût été tout à fait possible d’entendre dans les chaumières la voix célèbre de Georges Briquet, le radioreporteur emblèmatique du Tour, s’égosiller :

- Je vous donne les passages au sommet du col du Tourmalet, 1er Gino Bartali  2è Louison Bobet 3è Pierre Moinot surgissant du brouillard en tête du peloton des poursuivants !

Mais, M. et Mme Moinot se sont gendarmés : « Pierre descends immédiatement de cette bicyclette ! Pierre tu ranges ta bécane et tu retournes dans ta chambre, à tes devoirs ! » Il y retourne et les fait avec excellence, puisqu’il entre en hypokhâgne au lycée Henri-IV à Paris, dont le concours général lui avait permis l’accès. »

 

Cette dernière citation n’a pour but que d’illustrer l’attrait et l’importance du Premier Pas Dunlop dans la société française d’avant la guerre (1940-1944) et dans de nombreuses couches sociales (Pierre Moinot , écrivain français né en 1920, dont le père était directeur d’école dans un village du marais poitevin).  

 

 

"mon" 1er Pas Dunlop:

 

Le 9 avril 1961 à Ste Foy la Grande : éliminatoire départementale, 78 km, 48 qualifiés.

Après deux courses d'essai : le Prix de "l'assemblée aux oranges" à Condat-Libourne et le Prix des Fêtes aux Billaux (33), qui n'avaient pas été réussies (abandon), je croyais pouvoir mieux figurer pour l'éliminatoire du 1er Pas Dunlop à Ste Foy., le 9 avril 1961. Scolarisé en lycée, je n'avais encore jamais eu d'autre licence sportive que celle de l'OSSU, c'est-à-dire le sport scolaire et universitaire, lequel était organisé, pour toutes les disciplines, selon les catégories d'âge.

Le règlement du 1er Pas Dunlop (cf. extrait de "l'Athlète du 06/04/61) me rassurait en énonçant clairement une égalité d'âge des participants.

 

Mais, comme j'ai tenté de le dire plus haut, égalité d'âge ne veut pas dire égalité en matière d' expérience et de compétences, entre autres.

En fait, outre le fameux triptyque "rouler en peloton = garder sa ligne-ne pas engager sa roue avant-anticiper/se replacer", pour ne rien dire sur l'utilisation des braquets (je m'étais élevé à "tourner les jambes" et n'avais que trop rarement utilisé le grand plateau) et, enfin, j'ignorais tout de l'intétrêt d'un bon échauffement.

 

 "niché" au sein de mes congénères, caché sous des lunettes "incognito" et sans casque, attendant trop lontemps le signal du départ... 

Le peloton de 98 engagés était une réalité que je découvrais pour la troisième fois. Le départ fut rapide et il fallut sortir de Ste Foy, pour se retrouver bientôt sur une longue ligne droite bordée de chaque côté par des arbres. C'est là qu'eut lieu une explosion (un boyau qui éclate) et, pour la première fois, j'entendis (j'étais derrière) les crissements des freins, les invectives et le bruit lamentable du choc des vélos et des corps sur le goudron. Dans l'affolement général, je n'avais trouvé de salut que sur et dans le bas-côté, entre deux arbres heureusement. Le temps de remonter sur le vélo, le peloton était déjà assez loin. Et ce qui n'aurait pas été insurmontable pour quequ'un d'expérimenté, le fut pour moi. Plus tard, j'apprendrais qu'"il ne faut pas se mettre (trop longtemps) dans le rouge". Mais, je n'ai pas abandonné, d'abord parce que c'était une course en ligne et non pas en circuit. Ensuite, avec quelques autres compagnons (nous fûmes 5 bientôt), nous entreprîmes de rallier l'arrivée et de nous présenter tous ensemble sur la même ligne, parce que nous ignorions le nombre de qualifiés. J'appris que le vainqueur s'appelait Fedrigo (ECF) ce qui, alors, ne me disait rien de particulier. Et, il me fallut, bien des années plus tard, quelque temps, avant de comprendre qu'il ne s'agissait pas de Michel Fedrigo (le père de Pierrick , l'excellent coureur des années 70-80) mais du frère, Claude.

 

  

 

L'éliminatoire régionale pour la Guyenne (à l'époque, les départements 33, 40, 47, 64) se courait à Damazan (47) et il y avait 85 qualifiés. J'étais relativement content d'en faire partie, mais en milieu de semaine, lorsque mon père (à qui je dois - entre autres - la plupart des documents ici présents) me demanda calmement : "Est-ce que tu crois que cela vaut la peine d'aller jusque là-bas ?" (nous habitions à Royan (17)), je jugeais bon de renoncer, sentant les efforts de mes parents pour m'accompagner dans mon aventure incertaine.

 

 

 

 

 

 

"C'est de ce temps-là que je garde au coeur,"

... un sentiment d'inachevé.

(cf. "J'aimerai toujours le temps des cerises...", J.B. Clément, 1866.) 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



24/10/2011
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